Arpenteurs des bordures est paru ; voyez le Catalogue.
Pour tous renseignements, écrire à jean-paul.raffel@laposte.net
Amitiés !
Voir aussi www.jpraffel.canalblog.com.
Il est des rencontres dont on ne sort pas indemne.
Vécu dans un poème
Vu des gens qui écrivaient
Vu un homme qui contait
Entendu les chanteurs
Trouvé le monde derrière les grilles
Reconnu la chanson
Ecouté les femmes
Ecouté les savants
Marché dans le noir parmi les arbres
Goûté cette guitare
Tenté une palabre
Partagé un repas
Reconnu le poète
Refermé le livre
Oublié le poème
Retrouvé le monde édenté
A n’y rien jamais comprendre
A n’y rien jamais comprendre
Jamais comprendre
© jpr 19 mai 2013
Ambiguïté du savoir, Clédo dans ce court poème. Celui qui sait peut-il être serein ?
Quand tu quitteras le pays des lampes
Envol
Quand tu voudras bien quitter le pays des lampes, des livres et du savoir,
Peut-être pourras-tu venir à mes côtés au pays des étoiles, des ombres et des rêves
Pour t'envoler sereinement...
© Clédo
Calder, vous ne serez jamais raisonnable. Aussi les traces de vos pas en face de Solidor et vers le grand Bé sont les seules qui ne s'effacent jamais. Elles sont comme celles de vos chutes.
J'aimais courir jusqu'à tomber
Jeux d'enfant
J’aimais courir jusqu’à tomber
soûle d’un bonheur absolu
dans le rire des prairies
ou l’éclat mat des vagues
Plus tard j’aimai courir jusqu’à voler
j'étais le vent ivre du vent
toujours plus vite, plus loin, plus fou
Et puis un jour, droit dans un mur :
bouquet d’étoiles et arnica
j’ai moins aimé
Plus tard encore j’ai aimé courir
au milieu des copains
gambades rebelles dans les rues
Et ce jour-là, droit dans un mur :
les tout en noir
et leur tam-tam de boucliers
J’ai couru, j’ai gagné
des bleus des contusions
huit heures au poste
je n’ai pas aimé
A grandir devient-on raisonnable ?
Aujourd’hui sagement je marche
comme nous tous
Mais dans ma tête et dans mon coeur
je cours toujours
jusqu’à tomber
© Alice Calder
Je me souviens de Philippe Gérard, poète de seize ans, qui embrassait sa première sous la pluie.
Des baisers
Rue Jean-Pierre-Timbaud
nos premiers baisers
sous une pluie battante
rue Jean-Pierre-Timbaud
Il y eut bien auparavant
des prémices de caresses
des promesses d’amour
cours des 50-Otages
dont l’un justement était
Jean-Pierre Timbaud
(un autre s’appelait
Guy Môquet,
qui n’eut guère le temps
de donner des baisers
car il est mort
à dix-sept ans).
Jean-Pierre Timbaud,
qui fut enterré
à Saint-Aubin-des-Châteaux,
où je fis autrefois de folles fêtes
et dont l’école communale
qui porte aujourd’hui son nom
avait alors pour maître
un certain poète nommé
René Guy Cadou.
C’est ainsi que
Jean-Pierre Timbaud
en mille neuf cent quarante et un
finit la lettre qu’il écrivit
à sa femme et à sa fille
peu avant son
exécution :
« Encore une fois tant que j’ai la force de la faire
des millions de baisers celui qui vous adore pour l’éternité. »
nos premiers baisers
sous une pluie battante
rue Jean-Pierre-Timbaud
© Philippe Gérard
À vous dire, Calder, à vous lire. À reprendre à haute voix "que mes mots fondent en vous". Les baisers sont salés, les princesses en chaussettes, les poètes embrassent ce qu'ils dessinent et le renvoie à l'air libre.
Les mots du rêve
J’ai rêvé que je vous rencontrais
un dimanche dans la rue
Pour vous j’ôtais mes chaussures
mais vous disparaissiez
avalé par la ville
Cendrillon en chaussettes j’errais
Dans un grand parc à la française
des enfants attendaient la fête
en file comme au supermarché
Mais vous, où étiez-vous passé ?
Dans le coton gris d’avant l’aube
charivari ordinaire du cerveau
je songe à vous
Je voudrais
cristaux de neige dans les cheveux
grains de sel sur la langue
que mes mots fondent en vous
tels des baisers oubliés
C’est beaucoup demander, bien sûr
Mais vous, qu’avez-vous à me dire ?
© Alice Calder
Raffel, ces grasses prairies de l'hécatombe : poésie ou simple passage du réel au surgissement de toutes les réalités ?
"Tout juste un peu de bruit pour combler le silence"
Fracas
Sous la croix immense, j’ai vu le champ
À perte de vue des tombes
La pluie vers Saint-André de l’Eure
Le champ militaire des morts allemands
Nous étions mon fils et moi devant les inscriptions
Deux soldats sur chaque face
Quatre morts par sépulture
La pluie céda aux brumes
Nous marchions dans cette catastrophe
Sans un mot
Comprendre l’étendue n’est pas si simple
Fosse commune : quatre-vingts ? Huit cents
Huit mille enfin ?
Un coup de feu résonna soudain sur le cimetière
Un chasseur, tout près, dans une haie venait de tirer
J’ai sursauté et je sursaute encore lorsque j’y pense
Ce que multiplie la poésie, les angles, les profondeurs
Les cortèges, dans ce seul coup de fusil
Un seul éclat, toute la Normandie
Colleville, Vierville , La Madeleine
Un seul éclat
Avranches, Falaise, Courseulles
Courseulles, mon fils, un fracas sous le seuil du monde.
© Jean-Paul Raffel
Pour Bathurst la poésie est traduction, le français une langue fraternelle.
De plus en plus fort
Tiens j’ai revu le silence
je le vois moins maintenant
mais mieux
oh mes amis
il a baissé
il n’est pas brillant
l'ombre de lui-même
je l’ai observé un moment
sans rien dire
comme on observe le silence
il a levé la tête
m’a regardé
jamais je n’oublierai ce regard
Quoi m’a-t-il dit
J’en suis resté coi
le silence qui parle
péniblement j’ai articulé
Ça n’a pas l’air d’aller fort
Ce n’était pas fort non plus comme réplique
tu aurais mieux fait de te taire me grondais-je en mon for intérieur
heureusement le silence et moi
on s’entend bien
Ne m’en parle pas m’a-t-il fait
les gens ne me supportent plus
tu comprends
quand je m’installe quelque part ce sont leurs cris qu’ils entendent
leurs cris à tous
qui roulent dans leurs têtes
alors ils se bouchent les oreilles
avec du bruit
de plus en plus de bruit
bientôt il n’y en aura plus assez
pour empêcher leurs cris d’envahir le monde
ce n’est pas moi le problème
c’est ce qu’ils font de moi
ils m’emploient
à cacher leurs horreurs
ils ont oublié
de quoi je fus l’écrin
© Alan Bathurst
Raffel bilingue que Saturne tracasse. On serait en retard pour des causes moins urgentes.
Le beau temps m'a perdu
Retard
J'ai bien peur d'être en retard d'un rayon de soleil
Comptez au creux des mains toutes les lignes de vie
Tournez vers le couchant toutes les paumes ouvertes
Trop tard, trop tard voici déjà la nuit
Ce n'est pas le beau qui me tracasse, ou le sale, ou bien le triste
C'est bien le temps tout court
C'est bien le temps
Pauvres vers qui s'égarent dans les champs de Saturne
Bientôt j'y serai clos
J'attends qu'ils disent encore
J'étais je suis, je serai en retard à la course du temps
Ero, sono et saro in ritardo alla corsa del tempo.
© Jean-Paul Raffel
Les rendez-vous à la renverse... ? Hier, en ce moment, demain. Dans la neige, marcher dans ses propres traces, à reculons, pour refaire, sans jamais abîmer.
Ciel clair cette nuit
Comme le ciel
Et l’obsession de la lune
Oubliés dans le livre de classe
J’aime ces rendez-vous
À la renverse
Où tout recommence
Par l’arrière
Où l’âge accepte
Encore de s’endormir
Avec du temps
Serré dans ses mains
Comme du sable
À cause de son sourire à elle la lune
Dans l’œil bleu de l’écolière
© Christiane Loubier
Qui trouvera asile, finalement ? Alice retrouve les palais cachés métro Château Rouge. Je vois la foule aussi et les tapis volants. Au-dessus de Paris, bel encombrement.
Donnez-moi une île
Île et aile
Donnez-moi une île
J’en ferai une aile
Un tapis volant tissé de sable
Frangé de l’or des vagues
Entendez-vous ces chants d’oiseaux
Entendez-vous l’appel du vent
Il siffle autour de nous
Sous les cris laids de la rue
Derrière le fracas du métro
Embarquez avec moi
Loin des regards durs et du skaï lacéré
Rêvons ensemble au vol des oies sauvages
Nils et Akka trouant leur ciel de neige
Le jour se lève à peine, mais voyez
Sur le gris fer de la Baltique
Le mouchetis blanc des archipels
Entendez-vous le cri des oies
Donnez-moi une île, ou pas
Mais venez avec moi
Il faut si peu de mots pour trouver asile
© Alice Calder
Mais, Cledo, votre fantaisie, comme une ligne de vie, indispensable dans la nuit. Vos toiles, vos abris. merci.
Rien encore n’a régné, ni l’ordre ni la horde
Toiles
Pour jouer avec les mots
Puisque l'ordre n'est pas,
Mais que la fantaisie si,
Je dirais que c'est un matin d'automne.
Délicatement tissée,
La toile d'araignée
A pris, à l'aube,
Une horde de gouttes de rosée,
Au travers desquelles
Le soleil diffuse son spectre
Pour en teinter notre fade présence,
Empêtrés que nous sommes
Dans la toile de la vie.
© Clédo
Philippe Gérard poursuit un travail où l'inquiétude contamine le quotidien. "La gorge mondée", surprenantes et exigeantes questions, sans réponse.
Quand donc cela finira-t-il ?
Le cœur qui bat
des cadences infernales
chaîne de vie
Le cul las
de fosse d’aisance
vie sceptique
Le sexe prostré
quand sert de rien de pourrir
il faut martyr à point
À poings fermés
par la colère
consœur de mauvaise vie
La gorge mondée
là où se terre
la tentation du terrorisme
Mais vie sage quand même
yeux fermés et
bouche cousue
avec pour toute
révolte ce cri intérieur
Quand donc cela finira-t-il ?
© Philippe Gérard
La jambe me fait mal. Mais je danse, Alice, grâce à vos adresses.
Mais je danse et vous lis, d'évidence.
Un rebouteux m’a remis pour la fête
Dans la vallée du Scorff
Dans la vallée du Scorff
Tout le monde connaît Monique Bozec
Elle a le doux et le rugueux du granit au soleil
Rien qu’à la voir le sourire vous vient
Baguette bifide dans les mains
Elle arpente les maisons malades
En quête de sources cachées
Qu’elle pourfend de petits fils de cuivre
Elle s’exclame, blague, rouspète
Tout le monde est content, la maison est guérie
Et le Scorff poursuit sa balade au fond des vallons
Chez elle, plafond bas, odeurs mêlées feu de bois vieux café
Sur un tabouret bas, j’attends sagement
Debout face à moi, Monique Bozec me soigne
Elle a saisi ma nuque d’une main
Posé l’autre sur mon front
De son estomac montent des bruits scabreux
Sous les courts cheveux gris son visage
Pommettes hautes regard pervenche
Se concentre sur l’évacuation du mal
Un chapelet d’éructations plus tard
Les nuages se dissipent, le ciel s’élargit
Adieu migraine, Monique se marre
Tu voudrais pas un verre de cidre ?
On va pouvoir passer aux crêpes
Dehors les hortensias opinent sous le vent
Le soleil joue au diamantaire
Avec la dernière pluie
© Alice Calder
Une dédicace, subtil Bathurst sur la pointe des pieds: ouvrir les armoires. Les instruments cassés et toute la mémoire.
L'émotion, la rencontre où soudain, le monde et les femmes s'animent.
L’âme de la fête
à Georges Prudent
Ça tiendra ce que ça tiendra
On m’a rapiécé les soufflets
limé quelques lamelles
Moi ce sont les feutres
on me les a remplacés
par de moins vieux
Moi c’est mon chien
qui est fêlé
Moi l’on m’a retendu la peau
ça tiendra ce que ça tiendra
Quant à moi j’ai tout de bon
une épissure au bourdon
Et toi tu ne dis rien
Moi
on m’a remis l’âme en place
ça tiendra ce que ça tiendra
mais il faut que ça tienne
et ça tiendra
© Alan Bathurst 2012
Mathilda, merci d'apporter le mystère avec le thé, dans une pièce où l'on devine l'Orient, même à Paris. J'aime les volets clos, la découverte des vers libres.
Rien ne s’oppose à la nuit
Sous la nuit
Contrariante aurore
qui effractionnes la nuit
ta subtile venue
n'efface pas l'ennui,
la douleur alentie
l'éternel regret
de tous ces sommeilleux
qui déplissent leurs paupières.
Ni la fumée du thé
ni le soleil revenant
ni les aiguilles vivantes
de l'horloge sans patience,
rien,
aucune touche lumineuse
n'assombrira la poésie
qui se forme sans contours
sans rythme et sans césure
derrière des volets clos.
© Mathilda
Alice Calder, vous voici à nouveau dans les Bordures: froid peur nuit, accessoires poétiques pour affronter l'enfance revenue.
Historiette
Je peux finir le chapitre ?
Je voudrais tant savoir
D’Artagnan, Milady
Et le secret d’Athos
Encore une page s’il te plaît
Rien qu’une ligne et j’éteins
Pourquoi devrait-il quitter
Cette histoire plus vraie que la vraie
D’amis plus sûrs que les siens
D’une vie plus claire que la vie
Sous l’abri frêle des draps
Lampe de poche à la main
L’enfant résiste, les yeux las
Il faudra bien plonger pourtant
Froid peur noir je ne sais pas
Les monstres de la nuit l’attendent
Un jour, longtemps après
Quand tout sera fini
Ou presque
Le souffle court
Il suppliera toujours
Un moment s’il vous plaît
Rien qu’une heure
Pourquoi doit-il quitter
Les amis changeants qui enchantent sa vie
Sa vie si claire en cet instant
Et l’histoire bigarrée qui s’est par lui écrite
Si vraie, trop vite
S’il vous plaît
Encore un paragraphe
Rien qu’un mot un regard
Une bouffée
Une seconde
© Alice Calder
Que dirait Jean Tardieu de la tête de Philippe ?
Il étonne et donne du jeu aux têtes les plus sévères.
Ne fais pas la tête
Sans queue ni...
on l’a toute
on l’a bonne
on l’a bien faite
ou sans cervelle
de linotte
on jure dessus
on l’a forte
on l’a dure
on lui sert du Turc
on la prend
on se la prend
on la perd
on se la monte
on l’a haute
on la baisse
on la fait tourner
on l’a ailleurs
dans les nuages ou dans la lune
on la casse
on se la creuse
on la tabasse
on la tranche
on l’explose
elle implose
on ne sait plus où en donner
on se la tape contre les murs
on se la jette la première
on se la fait au carré
on se la donne à couper
on la fait de six pieds de long
on y cherche des poux
on y met du plomb
elle est mise à prix
on se la paye
on est tombé dessus
on y a mal
on l’a défaite
on la fait
on la fait
© Philippe Gérard
Philippe Gérard, poète au grain précis, pour agrandir le détail qui mord.
Colchiques
Colchiqué
Je te croyais
féminine
assassine
colchidienne
Tu es du masculin
tu n’es que tue-chien
faux safran sans saveur
venimeuse en veilleuse
empoisonneur automnal
© Philippe Gérard
Camille, souvenir du bar en zinc, "Toi et moi" dans la salle sombre, où chacun écoutait.
Tu sais où j'ai été
Toi et moi
Tu me regardes sans me voir
Tu souris
Un sourire qui n’ose
Une frange haut perchée
Agrandit tes yeux sombres
Tu portes ce pull à damiers
Que je t’ai déjà vu
Il te va bien.
C’est étrange
Tu sais tout de moi
Où j’ai été ce que j’ai fait
Mes déceptions mes espoirs
Mais moi que sais-je de toi ?
Je connais ton nom
Je devine ton âge
Mais que sais-je en vérité
De tes pensées de tes émois
De ton histoire
Quelques bribes
Tout au plus.
J’aimerais que tu me racontes
Tant d’incertitudes sont restées !
Tu regardes l’objectif
Un regard qui n’ose
Tu dois avoir cinq ans
Tu sais tout de moi
Mais moi
Que sais-je de toi
De toi qui es moi ?
© Camille Pioz
Parfois la poésie de craie ou d'ongle sur le tableau griffe l'esprit en lame de couteau. Cette poésie, Christiane Loubier la signe.
La chair des pommes sures
Miroir d'automne
Impossible
De se déshabiller
De ce visage
Qu'on ne voit pas
Moi je mords dans mes joues
Je voudrais trouver
Dans l'ombre de mes rêves
Un visage de pomme
Dans la lumière d'automne
Loin du boisseau
Loin du couteau
© Christiane Loubier
Alan Bathurst avale les cailloux comme d'autres les serpents, au jardin d'Eden. Attention, il y a danger à le suivre: on se perd dans ses raisons.
Le jardin
Nous étions hauts comme trois pommes
de ces petits poings de l’automne
ramassés dans l’allée
du jardin de ta tante
tu me les vendis trois cailloux
et un baiser
ô le parfum de tes joues
le goût des pommes cabossées
et des cailloux
j’en avalai un je crois
mais rien n’importait
que tes yeux
de ciel sur la terre
© Alan Bathurst 2012
Clédo en contrastes. Première visite au Champ secret, premiers détours, premiers délices.
Tu devrais mettre une petite laine
Impénétrante chaleur
Tu as froid dans toi.
Intérieur figé par les doutes,
Congelé par les peurs.
Tes larmes sont de glace.
Les rayons du soleil se réfléchissent sur ta peau de lune.
Les chaleureuses couleurs de l'automne n'atteignent pas non plus ton coeur.
Tu devrais mettre une petite laine
Sur tes maux.
©Clédo
Christiane, forgeant sa poésie sous l'éclair et le doute...
J'ai transformé le vieux doute...
J'ai troué la voile
L’éclair
Je l’ai désiré plus que le vent
Mais dans tes yeux
L’iris sombre du doute
À l’aube du silence
Pour que rien ne dure
J’ai troué la voile
J’ai volé de nuit
Comme si j’étais l’oiseau voilier
Qui revient par le chas du temps
© Christiane Loubier
Et vous, Alice, qui cachez l'inconnu dans l'encre et le frisson. Vous voici de retour au Champ secret.
Et puis nous vieillirons...
Les feuilles
Vieillies sous le soleil
Assoiffées, sevrées de sève
Racornies en menus craquements
Bientôt le vent nous emportera
Une à une, discrètement
Ou en paquets tourbillonnants
Dans le grand strip-tease automnal
Miette particule poussière
Retour à terre
Fondu au noir
Pourtant je me rappelle si vif
L’éclat de notre éclosion
Nervures en flèche vers le ciel
Je me rappelle aussi
A l’abri de notre épais nuage vert
Où le vent s’étouffait, où le soleil s’amollissait
Tant d’amoureux frémissants
Tant de siestes paisibles
Et de paroles amies par les longs soirs d’été
Feuille parmi tant d’autres
Je lorgne vers les signes
Que la vie trace en nous
Mais de ride en ride
Le parchemin s’encre d’inconnu
C’est tout
© Alice Calder
Apprendre avec Alan Bathurst. Sûrement, à tâtons.
Urgence
Vieillir s’apprend
ça prend du temps
Hâtons-nous d’apprendre
à prendre le temps
d’apprendre
© Alan Bathurst 2012
Bathurst éloigne son obscurité en la nommant. Merci, aède, au fond de ta nuit.
Lavez votre cerveau
Effacement
Rien n’efface une ombre
qu’une ombre plus grande
J’en sais une immense
qui peuple mes jours
d’images volées
à mes souvenirs
plus claires pourtant
qu’un premier été
qui peuple mes nuits
d’ombres de ces ombres
plus claires encore
De quelle clarté
luira l’autre nuit
après celle-ci
© Alan Bathurst 2012
Tsveta s'inspire des empreintes. C'est la vertu du poète, savoir laisser une trace légère et que l'on suit à distance.
Aucun bruit ne l'a révélé
La liberté du silence (investigation, vague et gravide)
La roue s'incruste, dentelée,
le long du sillon des veines.
Aucun écho n'a su parler.
Aucune rumeur n'a pu dire
où et qui,
comment s'est envolée, évaporée, enfuie
la trace du limon ou d'entrailles vidées.
Pas d'empreinte sur les rochers gris.
Pas de doigt pour marquer.
Pas de cris ni de chuchotements.
S'instaure ce silence à creuser.
Pas de bruit.
Je me tais.
© Tsveta
Jean Pauly tourne les pages du calendrier. Un reflet soudain, le poète hésite.
10 septembre 2012
Rien ne révèle ce que je pense. Ni la surface aveugle de l’écran, ni le cliquetis obsédant des touches du clavier. Encore moins. Je pense entre les lignes comme vous ne soupçonnez pas, vous, autant que vous êtes à lire mes façons, à sonder mes humeurs, à donner la leçon. Sous un toit loin d’ici, dans une ville que je ne connais pas encore… une fenêtre ouverte.
Rien ne révèle ce que je suis. Ni l’encre sympathique de mon entrain, ni le verbe acéré de ma mauvaise foi. Encore moins. Je suis sur des lisières qu’ils ne fréquentent pas, eux, autant qu’ils sont à tenir le cordeau, à longer la rigole, à flatter les corbeaux. Au creux d’un chemin creux que je ne connais pas encore, dans une trouée du feuillage… un reflet soudain.
Rien ne révèle où je vais. Ni l’air que je déplace, ni la trace fuyante surlignée par le curseur de la machine. Encore moins. Je vais au plaisir du hasard comme nous le faisons tous, nous, autant que nous sommes à brûler les deux bouts, à flairer les occases, à survivre debout. Au bord de la falaise du ciel que je ne connais pas encore… une étoile hésite.
© Jean Pauly
Raffel a bonne mémoire. Ce jour frileux, des élèves arrivent à l'école. Enfance, que dit la poésie.
La chanson foraine
Récit
Qu’étions-nous ?
Des enfants des écoliers
Ceux de la communale
Elevés près du sol
En octobre, nous courions les labours
Rabattre les perdrix
L’été nous levions des lapins
Devant les moissonneurs
Toute saison était bonne
Pour s’en aller guéer
Je me souviens j’avais dix ans
Un seize février.
Ils sont venus
Deux filles minuscules
Un garçon long presque comme le maître
Il les a fait s’asseoir tout au fond de la classe
Il a ouvert la fenêtre
Je me souviens il faisait froid
Il a commencé une leçon sur le mot
- Propre, la propreté
Il a arraché des feuilles sur un cahier
Pour leur donner. Je l'entends:
- Pas de crayon, qu’allons-nous faire ?
Propre et propreté
A la récréation, il nous a dit d’ouvrir
En grand
D’ouvrir en grand, d'aérer, bien aérer
- A cause des odeurs
Je me souviens, il faisait froid
Sous le préau tous trois
Puis près de la fenêtre ouverte
Ils sont restés la matinée
L’après-midi, ils n’étaient plus là.
Le soir, ils dansèrent sur la place
Lui, faisait des gymnastiques
Ses sœurs, de petites révérences
Je me souviens, j’avais dix ans
Nous étions des enfants, des écoliers
Le père chantait.
Je me souviens de leurs silhouettes
Leur mère tendait la main
De ceux qui n’osent pas rentrer
De ceux qui regardent par terre
De ceux qui roulent le chapeau
Je me souviens l’ennui
Je me souviens la honte
Et de ce maître remplaçant
Qui n’a jamais rien réparé
Qui n’a jamais rien remplacé.
© jpr 08 septembre 2012
Philippe Gérard cultive les Bordures à mains nues. Les mots-compagnons que l'on travaille et qui nous servent.
Il n'y a d'honnête que le bonheur
Sans titre (Bonheur/Mot bizarre)
Bonheur
mot bizarre
qui n’a pas d’adjectif, ou si peu
Beau mot
pour les âmes dallées
qui ne connaissent la terre battue
Mot calme
écrit au mur
de la félicité
Mot qui sonne
balnéaire
arme honnie
bouche bée-attitude
Au bonheur je préfère
l’incendie à éteindre
mais toujours couvant
mon cœur tempétueux à calmer
mais toujours soufflant
mon désir maladroit
mais toujours ardent
© Philippe Gérard
La poésie concise, la poésie sincère, la poésie. Camille.
"... oh,Maumariée.Quandilst’onttrouvée..."
Noces de crépon
Leurs larmes sur vous, Maumariées
Comme puits asséché
Les moissons s’épuisent
En graines captives
Mouchoirs de coton
Mouchoirs de cuir
Mouchoirs de plomb.
© Camille Pioz
Ainsi, Camille, vous déployez le temps pour le vivre davantage.
Je n'ai pas le temps
Quel temps fait-il ?
Le temps m’échappe
La vie se referme.
Une aile qui se déploie
Trois secondes
Une aile qui se déploie
Trente images par seconde
Une aile qui se déploie
Quatre vingt dix images.
Offrande du temps que je saisis.
© Camille Pioz
Christiane, maintenant familière des Champs secrets, où se trouve le bout de la nuit.
Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit
Plus loin que la nuit
Au loin – plus loin que la nuit
Il y a l’entêtement de l’oiseau
Tournant blessé
Haut – très haut
Muet au-dessus du silence
L’absence est un ciel
L’adieu à l’infini
Le bout de la nuit est ici
Dans les murs
De la chambre verte
Où naissent les matins
© Christiane Loubier
Tsveta, attendue au Champ secret. Attentive aux petites formes, aux détails qui font sens, la poésie de Tsveta trouve l'émotion dans l'histoire simple. Rapport au corps, au quotidien, à la lumière, au jeu des sens, aux éclats dans les mots.
Comme l'espérance est violente
Comme se creuse le vent
Comme j'espérais loin
et comme se creuse le temps
de se retourner
Plaf
Plaf
Par terre la violence
Par terre ou en dessous
Sous des raisins verts ou sous l'eau gribouillée
Des flaques
Plaf
Des flaques de violence tremblent sous mes pieds
Et la tête levée
Les yeux loin de la nuque
percent l'espérance
J'avançais
Oui j'avançais comme se creuse le vent
© Tsveta
Dieu de dos. Chapelle sixtine, poésie verticale, train à l'arrêt en pleine voie, Raffel s'influence au silence, dans le retournement des mots.
Je veux voir.
Tu sais donc voir vraiment ?
Dans la pierre tu sais trouver l’eau et la lumière ?
Au chemin blanc de soleil,
l’ombre et la paix ?
Tu veux voir ?
Tourne ton regard
Vers le visage de l’ombre
Tu brises la pierre
Pour y chercher de l’eau
Tu blesses tes mains aux cailloux
pour une seule étincelle
Tu creuses le chemin
Il est semé de tombes
Tu craches dans l’eau boueuse devant les assoiffés
L’aveugle te montre la direction, il te faut une boussole
Et tu veux voir ?
Tu crois reconnaître Dieu, de dos
Et tu portes la main à son épaule
Tu veux voir, car tu veux espérer
Sais-tu que l’espérance est douce ?
Elle est douce. L’homme apprend à bercer
la femme qui attend un enfant
La femme s’abandonne au rêve de l’enfant
Ecoute, il chante doucement
Ecoute, elle chante doucement
Elle est douce comme chaque minute aujourd’hui
Douce comme ta dernière minute
Si tu sais l’entendre.
© JPR
Mathilda, de retour dans le Champ secret, avec un sombre poème : il relève à la fois du quotidien - c'est inquiétant, et d'un indéfini - totalitaire, lié au destin ?
Césure
Elle reste sur le quai
Le train part, sans fenêtre
sans cris, sans aurevoirs.
Elle reste sur le quai
Les enfants accrochés
à son costume trop noir
la portent de toutes leurs forces.
Elle reste sur le quai
et seuls ces petits-là
voient par dessous le voile
et seuls ces petits-là
n'ont pas pitié du noir.
Elle reste sur le quai
Le train part,
et l'injustice éternelle
se cicatrise doucement
à coups de feutres anodins
de caprices
d'objets cassés.
Elle reste sur le quai
Rien ne l'emporte,
rien ne la transporte
et pourtant elle accepte
d'être pétrie à vie
par les mains pleines d'amour
de subtiles magiciennes,
qui reconstruisent le sort
du haut de leur enfance.
© Mathilda
Jean-Paul Raffel, pour ce nuage. Une rencontre avec un inconnu, mort depuis quatre-vingt-dix-sept ans, mais dont l'ombre s'abat encore et encore.
Ton courrier n'est jamais arrivé
S’il vient quelque nuage
Tu avais dit, dès la fin du printemps
Et moi, s’il vient quelque nuage
Tu avais ajouté… ce sera un dimanche
Et moi, quand les prés refleurissent
Tu avais hésité... quand viendra le regain
Et moi, juste avant les moissons
Tu avais chuchoté… un soir après la classe
Et moi, les nouvelles sont bonnes
Tu n’avais rien répondu
J’avais tendu mes lèvres
Tu avais proposé de partir en avance
J’avais attendu devant notre chemin
Tu avais roulé doucement dans le soleil
Je m’étais serrée contre toi
Tu avais laissé le vélo dans la cour de l’hôtel
J’étais montée en te tenant la main
Tu avais voulu parler encore
Tu avais la tête sur mon corsage
Nous avions compté à l’hôtel les minutes qui séparent
Les minutes qui approchent du départ
La foule osait... dès la fin du printemps
Et moi, s’il vient quelque nuage
La foule pensait…quand viendra le regain
Et moi, quand les prés…
La foule, les nouvelles sont bonnes
Un homme, en passant… Juste avant les moissons !
Moi sur le quai
Toi sur le marchepied, nous ne répondions rien
Le train partait, c’était prévu, on a ouvert nos mains
Tu m’as écrit, dès la fin de l’été
Et moi, aussitôt, j’ai répondu, sous un nuage
J’ai répondu, aussitôt, un soir
Après la classe
Puis les nuages gris, puis les nuages noirs
Puis les nuages encore
Et les nuages. Les nuages.
Feu ton silence
Une lettre improbable
Le silence tombe en moi
Comme la pierre d'un noyé
Pour ne pas t’écrire l’absence
J’ai laissé passer novembre
Puis décembre
J’ai vu les chatons gris
Le chemin dans l’arbre
Pour les fourmis
J’ai gardé ma main dans la nuit
Neiges après neiges
Avec écorce et alphabet
J’ai fabriqué des volets
Pour ouvrir – Pour fermer
Cœur et paupières
Aujourd’hui dans l’amélanchier blanc
Palpite l’oiseau du vent
Ton silence j’y mets le feu
Je t’écris de mai
Dans le bruit des fleurs
Je t’écris de mai
Sur du papier glacé
© Christiane Loubier
Philippe Gérard est né près du fleuve. Les poètes du fleuve sont-ils installés sur la rive à compter les bateaux, les hommes sur les bateaux, les idées sombres sur les hommes ? Philippe Gérard entraîne souvent le lecteur sur des chemins d'inquiétude. On l'y retrouve toujours avec un profond intérêt.
Jean-Paul Raffel
Un œil sur le fleuve
Je suis né ici
J’en suis sûr
La première fois que j’ai ouvert les yeux
c’était pour regarder le fleuve
réveillé par la sirène d’un quelconque
cargo passant sous la fenêtre
À ma gauche en amont la raffinerie de sucre
À ma droite la centrale électrique au fuel
Face à moi la gare de Chantenay et derrière
l’usine de produits chimiques
Un cocktail mortel pour la vie
De quoi ne plus jamais ouvrir les yeux
Aujourd’hui plus de raffinerie
plus de centrale ni d’usine
la gare encore et la maison où je suis né
dessous, presque, l’avant-dernier pont sur le fleuve
C’est pourquoi
à jamais sans doute
j’ai l’âme estuaire
le spleen postindustriel
le marais dans le cœur
et la nostalgie du fleuve remontant vers sa
source
© Philippe Gérard
Alice Calder donne aux Bordures une poésie des sens. L'ombre, la présence, le déplacement, toujours un sourire. Calder joue de ses souvenirs, davantage peut-être, des images accumulées et qu'il lui faut restituer. Ou alors ?
La musique souvent me prend comme une mer
Fusions
Souvent la musique m’emporte
Frisson de sel, bâbord amures
Le coeur se gonfle sous le vent
Et comme la mer me dénoue
La musique me dit nous
Si tu chantes pour nous
Les gens taiseux aux yeux écarquillés
Tu donnes et tu reçois un baiser liquide
Tu bois la tasse, la mer t’avale
Et tu te vomis toi-même, ébloui de lumière
Noyé des eaux profondes remonté au grand jour
Si tu chantes avec nous,
Harmonie de la houle au petit matin calme
Tu te fonds dans le choeur, étreinte verte
Velours suave, infini et puissant ressac
Où se diluent ta voix, ton histoire
Ensemble
Certains entonnent des hymnes vengeurs
Ils tendent leur bras droit, rigide vers le chef
Mille nageurs-machines prêts à fracasser
Sur les brisants tous ceux qui les gênent
Quand il ressemble au cri des loups
Le chant de la mer me glace
© Alice Calder
Mathilda, un des mystères des Bordures. L'écriture est précise, vise et atteint le but. L'émotion, l'image et toujours la retenue s'inscrivent dans ses poèmes. Pour le lecteur, le désir d'en savoir davantage. Pour l'auteur un jeu à déchiffrer sans rien révéler. Jamais.
Jean-Paul Raffel
Ce sera mieux demain
Poème en X
Equation. Plus ou moins l'infini.
Plutôt plus que moins.
Vital chiffrage
D'un monde trop connu.
Equation. Sans y penser,
"J'écris par soustraction"
A-t-il dit.
Infinitésimale
solution à rien du tout.
Equation. Promesse
d'un inconnu,
D'un croisé mystérieux
Qui survivrait à toutes les embûches
signalétiques de l'équation.
Equation. Certitude de ne jamais
être découvert. Il reste un x alors je peux dormir tranquille.
Tout n'est pas su, tout reste à savoir.
Equation : phrase d'un autre langage
à ne jamais résoudre,
sous peine de s'endormir
sans espoir d'un demain.
© Mathilda
Enfant, Camille Pioz postait les copies carbone de ses poèmes dans les boîtes de ses voisins. Comme personne à cette époque n'a cru bon de répondre, elle poursuit, en changeant toutefois de méthode de diffusion.
Camille aime les mots directs qui montrent le réel dans son ultime simplicité.
Jean-Paul Raffel
Il ne suffit pas de changer d'adresse
Inaltérable
Tu peux tout changer.
La couleur de tes volets
Les chiffres au-dessus de ta porte
Le nom sur la boîte aux lettres
Cela ne suffira pas.
Tu peux tout emporter.
Les couplets de notre histoire
Les photos dans leurs vitrines
Et nos murmures sous cellophane
Pour t’envoler trois rues plus loin
Cela ne suffira pas.
Tu peux toujours si cela t’amuse
Partir pour les îles inexplorées
Voir l’eau tomber à contresens
Faire l’acrobate la tête en bas
Cela ne suffira pas
A t’éloigner de moi.
Tu peux aussi si cela te chante
Te prendre pour l’un de ces bateaux
Ballottés par les horizons facétieux
Et qui ne retrouvent pas le nord.
Je n’ai pas besoin de faire un pas
Ni de bouger le petit doigt
Pour que tu sois avec moi.
Où que tu sois.
J’ai ton sourire
Au détour de mes chemins.
J’ai ton sourire
Pour chaque ombre de la nuit.
Sais-tu que la musique que je fredonne
C’est la chanson de ta voix ?
Que tous les pores de ma peau
Ont le souvenir de ton corps ?
Et tu peux même si
Te murer au plus profond de l’enfer.
Cette éternité n’a pas d’importance.
Je saurai bien t’y retrouver.
© Camille Pioz
Jean-Paul Raffel livre chaque jour son humeur poétique, en vers libres. Ces textes composent des recueils. Bestiaire : des animaux affrontent leurs traits d'huma-nité ; Derrière les murs : des chaînes contre les hommes ; Poèmes de l'éphéméride : des poèmes en jalons sur le temps. JPR prépare une émission quotidienne, en vers libres, sur radio libre, à partir de septembre 2012.
Et les murs, les murs, les murs
Les plis
Soigneusement, deux femmes sous le soleil, replient le temps
Deux femmes massacrées sur les bords de la Glane
Replient le temps
Chaque pli, chaque pile, chaque enfant, chaque passant
Chaque pas sur la ligne du tram à Oradour
Replie le temps
Un oiseau posé dans les ruines, un volet au vent
Ferment le ban
Les doigts des murs dressés vers le ciel
Les maisons une à une crevées de haine
Les maisons exorbitées attendent
Sur la place d’Oradour où le vide prend source
Les rires, les jeux, le pas des hommes, les autos
S’arrêtent
Sur la place où rien ne s’entend, j’écoute la vie
J’écoute l’effroi
Tour à tour surgissent les jeux, les cris, les rires, les flammes,
Les loups, les coups de feux, la cour d’une école, le pas des hommes
Les innocents
Soigneusement, deux femmes sous le soleil, replient le temps
Les draps tachés, les draps brûlés, les draps souillés de haine
Derrière les murs d’Oradour
Deux femmes massacrées, deux femmes seules replient le temps
Et bercent leur enfant
Toujours elles recommencent, toujours elles plient
Rien ne s’oublie
Derrière les murs d’Oradour
Au loin, qui se rapprochent
De Hongrie, de Serbie, dans les berceaux du monde
J’entends claquer les bottes
J’entends roter la haine
Plus elle se renforce, plus elle crie
Hier soir au journal, mécanique et scandée
La voix répète : Autre, haine, Autre, haine
Le journaliste tente : « vous l’avez-déjà dit »
Mais elle bégaie son histoire
Sans s’occuper du bonhomme
Comme toujours
Toujours la même
Passant, souviens-toi
Tandis qu'elle vocifère.
© Jean-Paul Raffel
Jean Pauly est un auteur du XXe siècle. Il en traduit les pertes et les manques. Non pas comme une nostalgie ; il en conçoit un art de vivre.
Il livre dans les Bordures des jalons, une chronique poétique dont les fragments rassemblés constitueront, on le devine, bien davantage que leur somme.
Jean-Paul Raffel
En cette fin d'été
28 mai 2012
Dans l’église, la chaise qu’on déplace fait un boucan d’enfer et résonne encore dans mon crâne de vieux. Il manque une dent à mon sourire. Je vais vers mon âge. Des pissenlits poussent dans le bac à sable. Ça ne jointe plus entre les jours et les nuits. Les jeunesses gambadent en contrebas, je les rêve toutes pour n’en avoir aucune. Toutes pour n’en avoir aucune.
Les guêpes de cette fin d’été cognent contre les vitres. Sèm vièlhs disait mon père en reprenant son souffle sur la chaise de l’hôpital. Il parlait par delà, pour nous tous, ses aïeux, sa descendance, dans la pente du temps. Sèm vièlhs. Le soleil donne encore ce qu’il peut. Je me récite alors toutes ses dernières paroles pour n’en tenir aucune. Toutes pour n’en tenir aucune.
Lentement, la cuillère tourne dans la tasse et soulève des nuages de café. La veille, j’ai sorti le beurre du frigidaire pour qu’il se fasse à la mollesse, celle des nuits de veille, des robes de chambre, des herbes lasses, des escargots dans la salade et des brumes de septembre. Je déchire toutes les feuilles du calendrier pour n’en garder aucune. Toutes pour n’en garder aucune.
© Jean Pauly
Dans les bordures du Champ secret, des poètes travaillent. Régulièrement, ils passent entre eux la nouvelle : un nouveau poème est adressé au Champ secret. Voici "À jamais plus", de Christiane Loubier.
Le dimanche 11 mars 2012, elle poste "Vents contraires". C'est ce poème et bien d'autres qui me font régulièrement visiter les "carnets..."
http://christianeloubier7.over-blog.net/
Bienvenue sur le Champ secret, Christiane !
Jean-Paul Raffel
Histoire d’amour à jamais
A jamais plus
Je me réveille avec un cri
Ce n’est pas un rêve
Je suis où tu n’es plus
Une détonation en mer
Non – un bruit comme le tonnerre
Lorsqu’il tombe en pierre
Tu ne désirais pas l’été
Tu n’aimais que la nuit
Les fleurs d’orage
Les cordes de pluie
Ta nuit aimée est si lente
Trop courte pour l’absence
Je l’ai poussée dans le fond du jour
La mort a sa lumière – disais-tu
J’invoque un soleil
Pour assécher mes yeux
Le temps est fidèle
Il demeure
Tu es là
Tes bras – ta croix
Et le foin
Pour toujours – À jamais plus
L’éternel été fait reculer l’ombre
Raconte un peu de ta lumière
Coulant dans ma nuit
Où se calme le temps
© Christiane Loubier
Dans les bordures du Champ secret, Alan Bathurst livre une poésie exigeante. Les images y sont bien sûr plurielles et souvent douloureuses, car elles s'inversent, se retournent, résistent lorsque l'on croit s'y prendre.
Jean-Paul Raffel
D’amour à jamais
On m’a crevé les yeux depuis je vole par cœur
embobiné
par la roue qui tourne au ciel
on m’a crevé les yeux depuis je vole de mon propre chant
d’amour flottant d’amour crinière
une résille de pleurs sous mon front reprisé
histoire à jamais
Fuir là-haut fuir depuis je vole à temps plein
histoire d’amour à jamais
la roue qui tourne au ciel me prend à la gorge
me piège m’engoule
Oh mon petit
les mains m’en tombent
d’amour à jamais
Fuir éperdu dans l’amnésie
cramponné au plus intime nuage
me fondre au mica
du giron céleste
histoire à jamais d’amour
abîmé en mer à jamais
On m’a crevé les yeux je te vois mieux ainsi
© Alan Bathurst 2012