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Le Champ Secret

  • : Le Champ secret, littérature, chanson, théâtre...
  • : Les mots du Champ secret voudraient dire autrement, dans le clair-obscur du sous-bois plutôt que dans la transparence obligée de l’openfield.
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Le Champ secret 

 

création le 11 août 2010

n° de Siret : 524 784 576 00018

Mairie de Maisonnisses

12 rue des Écoliers

23150 Maisonnisses 

 

Promouvoir les pratiques d’écriture sous toutes leurs formes (littérature, chansons, théâtre…) par l’édition, la création de spectacles, l'organisation d’événements, l’animation pédagogique et la formation…

Recherche

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Arpenteurs des bordures est paru ; voyez le Catalogue.

 

Une nouvelle année des Bordures s'annonce...Vers libres toujours et publication de recueil, avec une nouvelle organisation.

Pour tous renseignements, écrire à  jean-paul.raffel@laposte.net

 

Amitiés !

 

 

Voir aussi www.jpraffel.canalblog.com.

 

 


 

Il est des rencontres dont on ne sort pas indemne.

 


 

 

Vécu dans un poème    

 

Vu des gens qui écrivaient
Vu un homme qui contait
Entendu les chanteurs
Trouvé le monde derrière les grilles
Reconnu la chanson
Ecouté les femmes
Ecouté les savants
Marché dans le noir parmi les arbres
Goûté cette guitare
Tenté une palabre
Partagé un repas
Reconnu le poète
Refermé le livre
Oublié le poème
Retrouvé le monde édenté
A n’y rien jamais comprendre
A n’y rien jamais comprendre
Jamais comprendre

 

© jpr 19 mai 2013

 


 

Ambiguïté du savoir, Clédo dans ce court poème. Celui qui sait peut-il être serein ?

 


 

Quand tu quitteras le pays des lampes

 

 

Envol

 

Quand tu voudras bien quitter le pays des lampes, des livres et du savoir,

Peut-être pourras-tu venir à mes côtés au pays des étoiles, des ombres et des rêves

Pour t'envoler sereinement...

 

© Clédo

 


 

Calder, vous ne serez jamais raisonnable. Aussi les traces de vos pas en face de Solidor et vers le grand Bé sont les seules qui ne s'effacent jamais. Elles sont comme celles de vos chutes. 

 


 

J'aimais courir jusqu'à tomber

 

 

Jeux d'enfant

 

 

J’aimais courir jusqu’à tomber

soûle d’un bonheur absolu

dans le rire des prairies

ou l’éclat mat des vagues

Plus tard j’aimai courir jusqu’à voler

j'étais le vent ivre du vent

toujours plus vite, plus loin, plus fou

Et puis un jour, droit dans un mur :

bouquet d’étoiles et arnica

j’ai moins aimé

 

Plus tard encore j’ai aimé courir

au milieu des copains

gambades rebelles dans les rues

Et ce jour-là, droit dans un mur :

les tout en noir

et leur tam-tam de boucliers

J’ai couru, j’ai gagné

des bleus des contusions

huit heures au poste

je n’ai pas aimé

 

A grandir devient-on raisonnable ?

Aujourd’hui sagement je marche

comme nous tous

Mais dans ma tête et dans mon coeur

je cours toujours

jusqu’à tomber

 

 

© Alice Calder

 


 

Je me souviens de Philippe Gérard, poète de seize ans, qui embrassait sa première sous la pluie. 

 


 

Des baisers

 

 

Rue Jean-Pierre-Timbaud

 

 

nos premiers baisers

sous une pluie battante

rue Jean-Pierre-Timbaud

 

Il y eut bien auparavant

des prémices de caresses

des promesses d’amour

cours des 50-Otages

dont l’un justement était

Jean-Pierre Timbaud

(un autre s’appelait

Guy Môquet,

qui n’eut guère le temps

de donner des baisers

car il est mort

à dix-sept ans).

Jean-Pierre Timbaud,

qui fut enterré

à Saint-Aubin-des-Châteaux,

où je fis autrefois de folles fêtes

et dont l’école communale

qui porte aujourd’hui son nom

avait alors pour maître

un certain poète nommé

René Guy Cadou.

C’est ainsi que

Jean-Pierre Timbaud

en mille neuf cent quarante et un

finit la lettre qu’il écrivit

à sa femme et à sa fille

peu avant son

exécution :

« Encore une fois tant que j’ai la force de la faire

des millions de baisers celui qui vous adore pour l’éternité. »

 

nos premiers baisers

sous une pluie battante

rue Jean-Pierre-Timbaud

 

 

© Philippe Gérard

 


 

À vous dire, Calder, à vous lire. À reprendre à haute voix "que mes mots fondent en vous". Les baisers sont salés, les princesses en chaussettes, les poètes embrassent ce qu'ils dessinent et le renvoie à l'air libre. 

 


 

 

Les mots du rêve

 

 

J’ai rêvé que je vous rencontrais

un dimanche dans la rue

Pour vous j’ôtais mes chaussures

mais vous disparaissiez

avalé par la ville

Cendrillon en chaussettes j’errais

Dans un grand parc à la française

des enfants attendaient la fête

en file comme au supermarché

Mais vous, où étiez-vous passé ?

 

Dans le coton gris d’avant l’aube

charivari ordinaire du cerveau

je songe à vous

Je voudrais

cristaux de neige dans les cheveux

grains de sel sur la langue

que mes mots fondent en vous

tels des baisers oubliés

C’est beaucoup demander, bien sûr

Mais vous, qu’avez-vous à me dire ?

 

 

© Alice Calder

 


 

Raffel, ces grasses prairies de l'hécatombe : poésie ou simple passage du réel au surgissement de toutes les réalités ?

 


 

"Tout juste un peu de bruit pour combler le silence"

 

 

Fracas

 

 

Sous la croix immense, j’ai vu le champ

À perte de vue des tombes

La pluie vers Saint-André de l’Eure

Le champ militaire des morts allemands

Nous étions mon fils et moi devant les inscriptions

Deux soldats sur chaque face

Quatre morts par sépulture

La pluie céda aux brumes

Nous marchions dans cette catastrophe

Sans un mot

Comprendre l’étendue n’est pas si simple

Fosse commune : quatre-vingts ? Huit cents

Huit mille enfin ?

Un coup de feu résonna soudain sur le cimetière

Un chasseur, tout près, dans une haie venait de tirer

J’ai sursauté et je sursaute encore lorsque j’y pense

Ce que multiplie la poésie, les angles, les profondeurs

Les cortèges, dans ce seul coup de fusil

Un seul éclat, toute la Normandie

Colleville, Vierville , La Madeleine

Un seul éclat

Avranches, Falaise, Courseulles

Courseulles, mon fils, un fracas sous le seuil du monde.

 

 

© Jean-Paul Raffel

 


 

Pour Bathurst la poésie est traduction, le français une langue fraternelle.     

 


 

 

De plus en plus fort

 

 

Tiens j’ai revu le silence

je le vois moins maintenant

mais mieux

oh mes amis

il a baissé

il n’est pas brillant

l'ombre de lui-même

je l’ai observé un moment

sans rien dire

comme on observe le silence

il a levé la tête

m’a regardé

jamais je n’oublierai ce regard

Quoi m’a-t-il dit

J’en suis resté coi

le silence qui parle

péniblement j’ai articulé

Ça n’a pas l’air d’aller fort

Ce n’était pas fort non plus comme réplique

tu aurais mieux fait de te taire me grondais-je en mon for intérieur

heureusement le silence et moi

on s’entend bien

Ne m’en parle pas m’a-t-il fait

les gens ne me supportent plus

tu comprends

quand je m’installe quelque part ce sont leurs cris qu’ils entendent

leurs cris à tous

qui roulent dans leurs têtes

alors ils se bouchent les oreilles

avec du bruit

de plus en plus de bruit

bientôt il n’y en aura plus assez

pour empêcher leurs cris d’envahir le monde

ce n’est pas moi le problème

c’est ce qu’ils font de moi

ils m’emploient

à cacher leurs horreurs

ils ont oublié

de quoi je fus l’écrin

 

 

© Alan Bathurst 

  


 

Raffel bilingue que Saturne tracasse. On serait en retard pour des causes moins urgentes. 

 


 

Le beau temps m'a perdu

 

 

 

Retard

 

 

J'ai bien peur d'être en retard d'un rayon de soleil

Comptez au creux des mains toutes les lignes de vie

Tournez vers le couchant toutes les paumes ouvertes

Trop tard, trop tard voici déjà la nuit

Ce n'est pas le beau qui me tracasse, ou le sale, ou bien le triste

C'est bien le temps tout court

C'est bien le temps

Pauvres vers qui s'égarent dans les champs de Saturne

Bientôt j'y serai clos

J'attends qu'ils disent encore

J'étais je suis, je serai en retard à la course du temps

Ero, sono et saro in ritardo alla corsa del tempo. 

 

 

© Jean-Paul Raffel 

 


 

Les rendez-vous à la renverse... ? Hier, en ce moment, demain. Dans la neige, marcher dans ses propres traces, à reculons, pour refaire, sans jamais abîmer.

 


 

 

Ciel clair cette nuit

 

 

Comme le ciel

Et l’obsession de la lune

Oubliés dans le livre de classe

 

J’aime ces rendez-vous

À la renverse

Où tout recommence

Par l’arrière

 

Où l’âge accepte

Encore de s’endormir

Avec du temps

Serré dans ses mains

Comme du sable

 

À cause de son sourire à elle la lune

Dans l’œil bleu de l’écolière

 

 

© Christiane Loubier

 


 

Qui trouvera asile, finalement ? Alice retrouve les palais cachés métro Château Rouge. Je vois la foule aussi et les tapis volants. Au-dessus de Paris, bel encombrement. 

 


 

Donnez-moi une île

 

 

Île et aile

 

Donnez-moi une île

J’en ferai une aile

Un tapis volant tissé de sable

Frangé de l’or des vagues

Entendez-vous ces chants d’oiseaux

Entendez-vous l’appel du vent

Il siffle autour de nous

Sous les cris laids de la rue

Derrière le fracas du métro

Embarquez avec moi

Loin des regards durs et du skaï lacéré

Rêvons ensemble au vol des oies sauvages

Nils et Akka trouant leur ciel de neige

Le jour se lève à peine, mais voyez

Sur le gris fer de la Baltique

Le mouchetis blanc des archipels

Entendez-vous le cri des oies

Donnez-moi une île, ou pas

Mais venez avec moi

Il faut si peu de mots pour trouver asile

 

 © Alice Calder

 


 

Mais, Cledo, votre fantaisie, comme une ligne de vie, indispensable dans la nuit. Vos toiles, vos abris. merci. 

 


 

Rien encore n’a régné, ni l’ordre ni la horde

 

 

Toiles

 

Pour jouer avec les mots

Puisque l'ordre n'est pas,

Mais que la fantaisie si,

Je dirais que c'est un matin d'automne.

Délicatement tissée,

La toile d'araignée

A pris, à l'aube,

Une horde de gouttes de rosée,

Au travers desquelles

Le soleil diffuse son spectre

Pour en teinter notre fade présence,

Empêtrés que nous sommes

Dans la toile de la vie.

 

© Clédo

 


 

Philippe Gérard poursuit un travail où l'inquiétude contamine le quotidien. "La gorge mondée", surprenantes et exigeantes questions, sans réponse. 

 


 

Quand donc cela finira-t-il ?

 

 

Vitupère
 
 

Le cœur qui bat
des cadences infernales
chaîne de vie

Le cul las 
de fosse d’aisance
vie sceptique

Le sexe prostré
quand sert de rien de pourrir
il faut martyr à point

À poings fermés
par la colère
consœur de mauvaise vie
 
La gorge mondée
là où se terre
la tentation du terrorisme

Mais vie sage quand même
yeux fermés et
bouche cousue
avec pour toute
révolte ce cri intérieur

Quand donc cela finira-t-il ?

 

 

© Philippe Gérard

 


 

La jambe me fait mal. Mais je danse, Alice, grâce à vos adresses.

Mais je danse et vous lis, d'évidence. 

 


 

Un rebouteux ma remis pour la fête

 

 

 

Dans la vallée du Scorff

 

 

Dans la vallée du Scorff

Tout le monde connaît Monique Bozec

Elle a le doux et le rugueux du granit au soleil

Rien qu’à la voir le sourire vous vient

Baguette bifide dans les mains

Elle arpente les maisons malades

En quête de sources cachées

Qu’elle pourfend de petits fils de cuivre

Elle s’exclame, blague, rouspète

Tout le monde est content, la maison est guérie

Et le Scorff poursuit sa balade au fond des vallons

 

Chez elle, plafond bas, odeurs mêlées feu de bois vieux café

Sur un tabouret bas, j’attends sagement

Debout face à moi, Monique Bozec me soigne

Elle a saisi ma nuque d’une main

Posé l’autre sur mon front

De son estomac montent des bruits scabreux

Sous les courts cheveux gris son visage

Pommettes hautes regard pervenche

Se concentre sur l’évacuation du mal

Un chapelet d’éructations plus tard

Les nuages se dissipent, le ciel s’élargit

Adieu migraine, Monique se marre

Tu voudrais pas un verre de cidre ?

On va pouvoir passer aux crêpes

Dehors les hortensias opinent sous le vent

Le soleil joue au diamantaire

Avec la dernière pluie

 

 

© Alice Calder

 


 

Une dédicace, subtil Bathurst sur la pointe des pieds: ouvrir les armoires. Les instruments cassés et toute la mémoire. 

L'émotion, la rencontre où soudain, le monde et les femmes s'animent. 

 


 

 

L’âme de la fête

 

 

à Georges Prudent

 

 

Ça tiendra ce que ça tiendra

On m’a rapiécé les soufflets

limé quelques lamelles

Moi ce sont les feutres

on me les a remplacés

par de moins vieux

Moi c’est mon chien

qui est fêlé

Moi l’on m’a retendu la peau

ça tiendra ce que ça tiendra

Quant à moi j’ai tout de bon

une épissure au bourdon 

Et toi tu ne dis rien

Moi

on m’a remis l’âme en place

ça tiendra ce que ça tiendra

mais il faut que ça tienne

et ça tiendra

 

 

© Alan Bathurst 2012

 


 

Mathilda, merci d'apporter le mystère avec le thé, dans une pièce où l'on devine l'Orient, même à Paris. J'aime les volets clos, la découverte des vers libres. 

 


 

Rien ne soppose à la nuit

 

 

 

Sous la nuit

 

 

Contrariante aurore 

qui effractionnes la nuit

ta subtile venue

n'efface pas l'ennui,

la douleur alentie 

l'éternel regret

de tous ces sommeilleux

qui déplissent leurs paupières.

Ni la fumée du thé

ni le soleil revenant

ni les aiguilles vivantes

de l'horloge sans patience,

rien,

aucune touche lumineuse

n'assombrira la poésie

qui se forme sans contours 

sans rythme et sans césure

derrière des volets clos.

 

 

© Mathilda

 


 

Alice Calder, vous voici à nouveau dans les Bordures: froid peur nuit, accessoires poétiques pour affronter l'enfance revenue. 

 


 

 

Historiette

 

 

Je peux finir le chapitre ?

Je voudrais tant savoir

D’Artagnan, Milady

Et le secret d’Athos

Encore une page s’il te plaît

Rien qu’une ligne et j’éteins

 

Pourquoi devrait-il quitter

Cette histoire plus vraie que la vraie

D’amis plus sûrs que les siens

D’une vie plus claire que la vie

 

Sous l’abri frêle des draps

Lampe de poche à la main

L’enfant résiste, les yeux las

Il faudra bien plonger pourtant

Froid peur noir je ne sais pas

Les monstres de la nuit l’attendent

 

Un jour, longtemps après

Quand tout sera fini

Ou presque

Le souffle court

Il suppliera toujours

Un moment s’il vous plaît

Rien qu’une heure

 

Pourquoi doit-il quitter

Les amis changeants qui enchantent sa vie

Sa vie si claire en cet instant

Et l’histoire bigarrée qui s’est par lui écrite

Si vraie, trop vite

 

S’il vous plaît

Encore un paragraphe

Rien qu’un mot un regard

Une bouffée

Une seconde

 

 

© Alice Calder

 


 

    Que dirait Jean Tardieu de la tête de Philippe ?
    Il étonne et donne du jeu aux têtes les plus sévères. 

 


 

Ne fais pas la tête

 

 

Sans queue ni...

 

 

on l’a toute
on l’a bonne
on l’a bien faite
ou sans cervelle
de linotte

on jure dessus
on l’a forte
on l’a dure
on lui sert du Turc
on la prend
on se la prend
on la perd

on se la monte
on l’a haute
on la baisse
on la fait tourner
on l’a ailleurs
dans les nuages ou dans la lune

on la casse
on se la creuse
on la tabasse
on la tranche
on l’explose
elle implose

on ne sait plus où en donner
on se la tape contre les murs
on se la jette la première
on se la fait au carré
on se la donne à couper
on la fait de six pieds de long

on y cherche des poux
on y met du plomb
elle est mise à prix
on se la paye

on est tombé dessus
on y a mal
on l’a défaite
on la fait

on la fait

 

 

© Philippe Gérard

 


 

Philippe Gérard, poète au grain précis, pour agrandir le détail qui mord. 

 


 

Colchiques

 

 

Colchiqué

 

 

Je te croyais
féminine
assassine
colchidienne

Tu es du masculin
tu n’es que tue-chien
faux safran sans saveur
venimeuse en veilleuse
empoisonneur automnal

 

 

© Philippe Gérard

 


 

Camille, souvenir du bar en zinc, "Toi et moi" dans la salle sombre, où chacun écoutait. 

 


 

Tu sais où j'ai été

 

 

Toi et moi

 

 

Tu me regardes sans me voir

Tu souris

Un sourire qui n’ose

Une frange haut perchée

Agrandit tes yeux sombres

Tu portes ce pull à damiers

Que je t’ai  déjà vu

Il te va bien.

C’est étrange

Tu sais tout de moi

Où j’ai été ce que j’ai fait

Mes déceptions mes espoirs

Mais moi que sais-je de toi ?

Je connais ton nom

Je devine ton âge

Mais que sais-je en vérité

De tes pensées de tes émois

De ton histoire

Quelques bribes

Tout au plus.

J’aimerais que tu me racontes

Tant d’incertitudes sont restées !

 

Tu regardes l’objectif

Un regard qui n’ose

Tu dois avoir cinq ans

Tu sais tout de moi

Mais moi

Que sais-je de toi

De toi qui es moi ?

 

 

© Camille Pioz

 


 

Parfois la poésie de craie ou d'ongle sur le tableau griffe l'esprit en lame de couteau. Cette poésie, Christiane Loubier la signe.

 


 

La chair des pommes sures

 

 

Miroir d'automne

 

Impossible

De se déshabiller

De ce visage

Qu'on ne voit pas

Moi je mords dans mes joues

Je voudrais trouver

Dans l'ombre de mes rêves

Un visage de pomme

Dans la lumière d'automne

Loin du boisseau

Loin du couteau

 

© Christiane Loubier

 


 

Alan Bathurst avale les cailloux comme d'autres les serpents, au jardin d'Eden. Attention, il y a danger à le suivre: on se perd dans ses raisons. 

 


 

 

Le jardin

 

Nous étions hauts comme trois pommes

de ces petits poings de l’automne

ramassés dans l’allée

du jardin de ta tante

tu me les vendis trois cailloux

et un baiser

ô le parfum de tes joues

le goût des pommes cabossées

et des cailloux

j’en avalai un je crois

mais rien n’importait

que tes yeux

de ciel sur la terre

 

© Alan Bathurst 2012

 


 

Clédo en contrastes. Première visite au Champ secret, premiers détours, premiers délices.

 


 

Tu devrais mettre une petite laine

 

 

Impénétrante chaleur

 

Tu as froid dans toi.

Intérieur figé par les doutes,

Congelé par les peurs.

Tes larmes sont de glace.

Les rayons du soleil se réfléchissent sur ta peau de lune.

Les chaleureuses couleurs de l'automne n'atteignent pas non plus ton coeur.

Tu devrais mettre une petite laine

Sur tes maux.

 

©Clédo

 


 

Christiane, forgeant sa poésie sous l'éclair et le doute...

 


 

J'ai transformé le vieux doute...

 

 

J'ai troué la voile

 

L’éclair

Je l’ai désiré plus que le vent

Mais dans tes yeux

L’iris sombre du doute

 

À l’aube du silence

Pour que rien ne dure

J’ai troué la voile

J’ai volé de nuit

Comme si j’étais l’oiseau voilier

Qui revient par le chas du temps

 

© Christiane Loubier

 


Et vous, Alice, qui cachez l'inconnu dans l'encre et le frisson. Vous voici de retour au Champ secret.

 


 

Et puis nous vieillirons...

 

 

Les feuilles

 

Vieillies sous le soleil

Assoiffées, sevrées de sève

Racornies en menus craquements

Bientôt le vent nous emportera

Une à une, discrètement

Ou en paquets tourbillonnants

Dans le grand strip-tease automnal

 

Miette particule poussière

Retour à terre

Fondu au noir

 

Pourtant je me rappelle si vif

L’éclat de notre éclosion

Nervures en flèche vers le ciel

Je me rappelle aussi

A l’abri de notre épais nuage vert

Où le vent s’étouffait, où le soleil s’amollissait

Tant d’amoureux frémissants

Tant de siestes paisibles

Et de paroles amies par les longs soirs d’été

 

Feuille parmi tant d’autres

Je lorgne vers les signes

Que la vie trace en nous

Mais de ride en ride

Le parchemin s’encre d’inconnu

C’est tout

 

© Alice Calder

 


Apprendre avec Alan Bathurst. Sûrement, à tâtons.

 


 

 

Urgence

 

Vieillir s’apprend

ça prend du temps

Hâtons-nous d’apprendre

à prendre le temps

d’apprendre

 

© Alan Bathurst 2012

 


Bathurst éloigne son obscurité en la nommant. Merci, aède, au fond de ta nuit.

 


 

Lavez votre cerveau

 

 

Effacement

 

Rien n’efface une ombre

qu’une ombre plus grande

 

J’en sais une immense

qui peuple mes jours

d’images volées

à mes souvenirs

plus claires pourtant

qu’un premier été

 

qui peuple mes nuits

d’ombres de ces ombres

plus claires encore

 

De quelle clarté

luira l’autre nuit

après celle-ci

 

 

© Alan Bathurst 2012

 


Tsveta s'inspire des empreintes. C'est la vertu du poète, savoir laisser une trace légère et que l'on suit à distance.


 

Aucun bruit ne l'a révélé

 

 

La liberté du silence (investigation, vague et gravide)

 

La roue s'incruste, dentelée,

le long du sillon des veines.

Aucun écho n'a su parler.

Aucune rumeur n'a pu dire

où et qui,

comment s'est envolée, évaporée, enfuie

la trace du limon ou d'entrailles vidées.

Pas d'empreinte sur les rochers gris.

Pas de doigt pour marquer.

Pas de cris ni de chuchotements.

S'instaure ce silence à creuser.

Pas de bruit.

Je me tais.

 

© Tsveta

 


 

Jean Pauly tourne les pages du calendrier. Un reflet soudain, le poète hésite.

 


 

 

10 septembre 2012    

 

 

Rien ne révèle ce que je pense. Ni la surface aveugle de l’écran, ni le cliquetis obsédant des touches du clavier. Encore moins. Je pense entre les lignes comme vous ne soupçonnez pas, vous, autant que vous êtes à lire mes façons, à sonder mes humeurs, à donner la leçon. Sous un toit loin d’ici, dans une ville que je ne connais pas encore… une fenêtre ouverte.  

 

Rien ne révèle ce que je suis. Ni l’encre sympathique de mon entrain, ni le verbe acéré de ma mauvaise foi. Encore moins. Je suis sur des lisières qu’ils ne fréquentent pas, eux, autant qu’ils sont à tenir le cordeau, à longer la rigole, à flatter les corbeaux. Au creux d’un chemin creux que je ne connais pas encore, dans une trouée du feuillage… un reflet soudain.

 

Rien ne révèle où je vais. Ni l’air que je déplace, ni la trace fuyante surlignée par le curseur de la machine. Encore moins. Je vais au plaisir du hasard comme nous le faisons tous, nous, autant que nous sommes à brûler les deux bouts, à flairer les occases, à survivre debout. Au bord de la falaise du ciel que je ne connais pas encore… une étoile hésite.

 

© Jean Pauly

 


 

Raffel a bonne mémoire.  Ce jour frileux, des élèves arrivent à l'école. Enfance, que dit la poésie.

 


 

La chanson foraine

 

 

Récit

 

Qu’étions-nous ?
Des enfants des écoliers
Ceux de la communale
Elevés près du sol
En octobre, nous courions les labours
Rabattre les perdrix
L’été nous levions des lapins
Devant les moissonneurs
Toute saison était bonne
Pour s’en aller guéer

Je me souviens j’avais dix ans
Un seize février.
Ils sont venus
Deux filles minuscules
Un garçon long presque comme le maître

Il les a fait s’asseoir tout au fond de la classe
Il a ouvert la fenêtre 
Je me souviens il faisait froid
Il a commencé une  leçon sur le mot
- Propre, la propreté
Il a arraché des feuilles sur un cahier
Pour leur donner. Je l'entends:
- Pas de crayon, qu’allons-nous faire ?
Propre et propreté

A la récréation, il nous a dit d’ouvrir
En grand
D’ouvrir en grand, d'aérer, bien aérer
-  A cause des odeurs
Je me souviens, il faisait froid
Sous le préau tous trois
Puis près de la fenêtre ouverte
Ils sont restés la matinée

L’après-midi, ils n’étaient plus là.

Le soir, ils dansèrent sur la place
Lui, faisait des gymnastiques
Ses sœurs, de petites révérences
Je me souviens, j’avais dix ans
Nous étions des enfants, des écoliers
Le père chantait.

Je me souviens de leurs silhouettes
Leur mère tendait la main
De ceux qui n’osent pas rentrer
De ceux qui regardent par terre
De ceux qui roulent le chapeau

Je me souviens l’ennui
Je me souviens la honte
Et de ce maître remplaçant
Qui n’a jamais rien réparé
Qui n’a jamais rien remplacé.

 

© jpr 08 septembre 2012

 


 

Philippe Gérard cultive les Bordures à mains nues. Les mots-compagnons que l'on travaille et qui nous servent.

 


 

Il n'y a d'honnête que le bonheur

 

 

Sans titre (Bonheur/Mot bizarre)

 

Bonheur
mot bizarre
qui n’a pas d’adjectif, ou si peu

Beau mot
pour les âmes dallées
qui ne connaissent la terre battue

Mot calme
écrit au mur
de la félicité

Mot qui sonne
balnéaire
arme honnie
bouche bée-attitude

Au bonheur je préfère
l’incendie à éteindre
mais toujours couvant
mon cœur tempétueux à calmer
mais toujours soufflant
mon désir maladroit
mais toujours ardent

 

© Philippe Gérard

 


La poésie concise, la poésie sincère, la poésie. Camille.

 


 

"... oh,Maumariée.Quandilst’onttrouvée..."

 

 

Noces de crépon

 

Leurs larmes sur vous, Maumariées

Comme puits asséché

Les moissons s’épuisent

En graines captives

Mouchoirs de coton

Mouchoirs de cuir

Mouchoirs de plomb.

 

© Camille Pioz

 


Ainsi, Camille, vous déployez le temps pour le vivre davantage.

 


 

Je n'ai pas le temps

 

 

Quel temps fait-il ?

 

Le temps m’échappe

La vie se referme.

 

Une aile qui se déploie

Trois secondes

Une aile qui se déploie

Trente images par seconde

Une aile qui se déploie

Quatre vingt dix images.

 

Offrande du temps que je saisis.

 

© Camille Pioz

 


Christiane, maintenant familière des Champs secrets, où se trouve le bout de la nuit.

 


 

Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit

 

 

Plus loin que la nuit

 

Au loin – plus loin que la nuit
Il y a l’entêtement de l’oiseau

Tournant blessé
Haut – très haut
Muet au-dessus du silence

L’absence est un ciel
L’adieu à l’infini
Le bout de la nuit est ici

Dans les murs
De la chambre verte
Où naissent les matins

 

© Christiane Loubier

 


Tsveta, attendue au Champ secret. Attentive aux petites formes, aux détails qui font sens, la poésie de Tsveta trouve l'émotion dans l'histoire simple. Rapport au corps, au quotidien, à la lumière, au jeu des sens, aux éclats dans les mots.


 

Comme l'espérance est violente

 

 

Comme se creuse le vent

 

Comme j'espérais loin
et comme se creuse le temps
de se retourner
Plaf
Plaf
Par terre la violence
Par terre ou en dessous
Sous des raisins verts ou sous l'eau gribouillée
Des flaques
Plaf
Des flaques de violence tremblent sous mes pieds
Et la tête levée
Les yeux loin de la nuque
percent l'espérance
J'avançais
Oui j'avançais comme se creuse le vent

 

© Tsveta

 


Dieu de dos. Chapelle sixtine, poésie verticale, train à l'arrêt en pleine voie, Raffel s'influence au silence, dans le retournement des mots.


 

Je veux voir.

 

Tu sais donc voir vraiment ?        
Dans la pierre tu sais trouver l’eau et la lumière ?
Au chemin blanc de soleil, 
l’ombre et la paix ?
Tu veux voir ?
Tourne ton regard
Vers le visage de l’ombre

 

Tu brises la pierre
Pour y chercher de l’eau
Tu blesses tes mains aux cailloux
pour une seule étincelle
Tu creuses le chemin
Il est semé de tombes

 

Tu craches dans l’eau boueuse devant les assoiffés      
L’aveugle te montre la direction, il te faut une boussole
Et tu veux voir ?

 

Tu crois reconnaître Dieu, de dos
Et tu portes la main à son épaule
Tu veux voir, car tu veux espérer
Sais-tu que l’espérance est douce ?

Elle est douce. L’homme apprend à bercer
la femme qui attend un enfant
La femme s’abandonne au rêve de l’enfant
Ecoute, il chante doucement
Ecoute, elle chante doucement
Elle est douce comme chaque minute aujourd’hui
Douce comme ta dernière minute

Si tu sais l’entendre.

 

© JPR

 


Mathilda, de retour dans le Champ secret, avec un sombre poème : il relève à la fois du quotidien - c'est inquiétant, et d'un indéfini - totalitaire, lié au destin ?


Porté par une petite fille

 

 

Césure

 

Elle reste sur le quai
Le train part, sans fenêtre
sans cris, sans aurevoirs.
Elle reste sur le quai
Les enfants accrochés
à son costume trop noir
la portent de toutes leurs forces.
Elle reste sur le quai
et seuls ces petits-là
voient par dessous le voile
et seuls ces petits-là
n'ont pas pitié du noir.
Elle reste sur le quai
Le train part,
et l'injustice éternelle
se cicatrise doucement
à coups de feutres anodins
de caprices
d'objets cassés.
Elle reste sur le quai
Rien ne l'emporte,
rien ne la transporte
et pourtant elle accepte
d'être pétrie à vie
par les mains pleines d'amour
de subtiles magiciennes,
qui reconstruisent le sort
du haut de leur enfance.

 

© Mathilda

 


Jean-Paul Raffel, pour ce nuage. Une rencontre avec un inconnu, mort depuis quatre-vingt-dix-sept ans, mais dont l'ombre s'abat encore et encore.


 

Ton courrier n'est jamais arrivé

 

 

Sil vient quelque nuage

 

Tu avais dit, dès la fin du printemps

Et moi, s’il vient quelque nuage

Tu avais ajouté… ce sera un dimanche

Et moi, quand les prés refleurissent

Tu avais hésité... quand viendra le regain

Et moi, juste avant les moissons

Tu avais chuchoté… un soir après la classe

Et moi, les nouvelles sont bonnes

 

Tu n’avais rien répondu

J’avais tendu mes lèvres

Tu avais proposé de partir en avance

J’avais attendu devant notre chemin

Tu avais roulé doucement dans le soleil

Je m’étais serrée contre toi

Tu avais laissé le vélo dans la cour de l’hôtel

J’étais montée en te tenant la main

Tu avais voulu parler encore

Tu avais la tête sur mon corsage

 

Nous avions compté à l’hôtel les minutes qui séparent

Les minutes qui approchent du départ

La foule osait... dès la fin du printemps

Et moi, s’il vient quelque nuage

La foule pensait…quand viendra le regain

Et moi, quand les prés…

La foule, les nouvelles sont bonnes

Un homme, en passant… Juste avant les moissons !

Moi sur le quai

Toi sur le marchepied, nous ne répondions rien

 

Le train partait, c’était prévu, on a ouvert nos mains

Tu m’as écrit, dès la fin de l’été

Et moi, aussitôt, j’ai répondu, sous un nuage

J’ai répondu, aussitôt, un soir

Après la classe

Puis les nuages gris, puis les nuages noirs

Puis les nuages encore

Et les nuages. Les nuages. 

 

© Jean-Paul Raffel
 

Christiane Loubier. L'amélanchier blanc peuplé de songes vivants. On sait de Christiane que la lecture de Georges Schehadé lui a révélé une certaine poésie. Lui, je crois, aurait apprécié le silence et la pierre du noyé.
 
JPR

Feu ton silence

 

Une lettre improbable
Le silence tombe en moi
Comme la pierre d'un noyé

Pour ne pas t’écrire l’absence
J’ai laissé passer novembre
Puis décembre
J’ai vu les chatons gris
Le chemin dans l’arbre
Pour les fourmis

J’ai gardé ma main dans la nuit

Neiges après neiges
Avec écorce et alphabet
J’ai fabriqué des volets
Pour ouvrir – Pour fermer
Cœur et paupières

Aujourd’hui dans l’amélanchier blanc
Palpite l’oiseau du vent
Ton silence j’y mets le feu
Je t’écris de mai
Dans le bruit des fleurs
Je t’écris de mai
Sur du papier glacé

 

© Christiane Loubier


Philippe Gérard est né près du fleuve. Les poètes du fleuve sont-ils installés sur la rive à compter les bateaux, les hommes sur les bateaux, les idées sombres sur les hommes ? Philippe Gérard entraîne souvent le lecteur sur des chemins d'inquiétude. On l'y retrouve toujours avec un profond intérêt.

 

Jean-Paul Raffel


 

Un œil sur le fleuve

 

 

Je suis né ici

 

J’en suis sûr

La première fois que j’ai ouvert les yeux

c’était pour regarder le fleuve

réveillé par la sirène d’un quelconque

cargo passant sous la fenêtre

 

À ma gauche en amont la raffinerie de sucre

À ma droite la centrale électrique au fuel

Face à moi la gare de Chantenay et derrière

l’usine de produits chimiques

Un cocktail mortel pour la vie

De quoi ne plus jamais ouvrir les yeux

 

Aujourd’hui plus de raffinerie

plus de centrale ni d’usine

la gare encore et la maison où je suis né

dessous, presque, l’avant-dernier pont sur le fleuve

 

C’est pourquoi

à jamais sans doute

j’ai l’âme estuaire

le spleen postindustriel

le marais dans le cœur

et la nostalgie du fleuve remontant vers sa

source

 

© Philippe Gérard

 


Alice Calder donne aux Bordures une poésie des sens. L'ombre, la présence, le déplacement, toujours un sourire. Calder joue de ses souvenirs, davantage peut-être, des images accumulées et qu'il lui faut restituer. Ou alors ?


 

La musique souvent me prend comme une mer

 

 

Fusions

 

Souvent la musique m’emporte

Frisson de sel, bâbord amures

Le coeur se gonfle sous le vent

Et comme la mer me dénoue

La musique me dit nous

 

Si tu chantes pour nous

Les gens taiseux aux yeux écarquillés

Tu donnes et tu reçois un baiser liquide

Tu bois la tasse, la mer t’avale

Et tu te vomis toi-même, ébloui de lumière

Noyé des eaux profondes remonté au grand jour

 

Si tu chantes avec nous,

Harmonie de la houle au petit matin calme

Tu te fonds dans le choeur, étreinte verte

Velours suave, infini et puissant ressac

Où se diluent ta voix, ton histoire

 

Ensemble

Certains entonnent des hymnes vengeurs

Ils tendent leur bras droit, rigide vers le chef

Mille nageurs-machines prêts à fracasser

Sur les brisants tous ceux qui les gênent

Quand il ressemble au cri des loups

Le chant de la mer me glace

 

© Alice Calder

 


Mathilda, un des mystères des Bordures. L'écriture est précise, vise et atteint le but. L'émotion, l'image et toujours la retenue s'inscrivent dans ses poèmes. Pour le lecteur, le désir d'en savoir davantage. Pour l'auteur un jeu à déchiffrer sans rien révéler. Jamais.

 

Jean-Paul Raffel


 

Ce sera mieux demain

 

 

Poème en X

 

Equation. Plus ou moins l'infini.

Plutôt plus que moins.

Vital chiffrage

D'un monde trop connu.

 

Equation. Sans y penser,

"J'écris par soustraction"

A-t-il dit.

Infinitésimale

solution à rien du tout.

 

Equation. Promesse

d'un inconnu,

D'un croisé mystérieux

Qui survivrait à toutes les embûches

signalétiques de l'équation.

 

Equation. Certitude de ne jamais

être découvert. Il reste un x alors je peux dormir tranquille.

Tout n'est pas su, tout reste à savoir.

 

Equation : phrase d'un autre langage

à ne jamais résoudre,

sous peine de s'endormir

sans espoir d'un demain.

 

© Mathilda

 


Enfant, Camille Pioz postait les copies carbone de ses poèmes dans les boîtes de ses voisins. Comme personne à cette époque n'a cru bon de répondre, elle poursuit, en changeant toutefois de méthode de diffusion. 

Camille aime les mots directs qui montrent le réel dans son ultime simplicité.

 

Jean-Paul Raffel


 

Il ne suffit pas de changer d'adresse

 

 

Inaltérable

 

Tu peux tout changer.

La couleur de tes volets

Les chiffres au-dessus de ta porte

Le nom sur la boîte aux lettres

Cela ne suffira pas.

Tu peux tout emporter.

Les couplets de notre histoire

Les photos dans leurs vitrines

Et nos murmures sous cellophane

Pour t’envoler trois rues plus loin

Cela ne suffira pas.

Tu peux toujours si cela t’amuse

Partir pour les  îles inexplorées

Voir l’eau tomber à contresens

Faire l’acrobate la tête en bas

Cela ne suffira pas

A t’éloigner de moi.

Tu peux aussi si cela te chante

Te prendre pour l’un de ces bateaux

Ballottés par les horizons facétieux

Et qui ne retrouvent pas le nord.

 Je n’ai pas besoin de faire un pas

Ni de bouger le petit doigt

Pour que tu sois avec moi.

Où que tu sois.

J’ai ton sourire

Au détour de mes chemins.

J’ai ton sourire

Pour chaque ombre de la nuit.

Sais-tu que la musique que je fredonne

C’est la chanson de ta voix ?

Que tous les pores de ma peau

Ont le souvenir de ton corps ?

Et tu peux même si

tout se gâte

Te murer au plus profond de l’enfer.

Cette éternité n’a pas d’importance.

Je saurai bien t’y retrouver.

 

© Camille Pioz



Jean-Paul Raffel livre chaque jour son humeur poétique, en vers libres. Ces textes composent des recueils. Bestiaire : des animaux affrontent leurs traits d'huma-nité ; Derrière les murs : des chaînes contre les hommes ; Poèmes de l'éphéméride : des poèmes en jalons sur le temps. JPR prépare une émission quotidienne, en vers libres, sur radio libre, à partir de septembre 2012.


 

Et les murs, les murs, les murs

 

 

Les plis

 

Soigneusement, deux femmes sous le soleil, replient le temps

Deux femmes massacrées sur les bords de la Glane

Replient le temps

Chaque pli, chaque pile, chaque enfant, chaque passant

Chaque pas sur la ligne du tram à Oradour

Replie le temps

Un oiseau posé dans les ruines, un volet au vent

Ferment le ban

Les doigts des murs dressés vers le ciel

Les maisons une à une crevées de haine

Les maisons exorbitées  attendent

Sur la place d’Oradour où le vide prend source

Les rires, les jeux, le pas des hommes, les autos

S’arrêtent

Sur la place où rien ne s’entend, j’écoute la vie

J’écoute l’effroi

Tour à tour surgissent les jeux, les cris, les rires, les flammes,

Les loups, les coups de feux, la cour d’une école, le pas des hommes

Les innocents

Soigneusement, deux femmes sous le soleil, replient le temps

Les draps tachés, les draps brûlés, les draps souillés de haine

 

Derrière les murs d’Oradour

Deux femmes massacrées, deux femmes seules replient le temps

Et bercent leur enfant

Toujours elles recommencent, toujours elles plient

Rien ne s’oublie

 

Derrière les murs d’Oradour

Au loin, qui se rapprochent

De Hongrie, de Serbie, dans les berceaux du monde

J’entends claquer les bottes

J’entends roter la haine

Plus elle se renforce, plus elle crie

Hier soir au journal, mécanique et scandée

La voix répète : Autre, haine, Autre, haine

Le journaliste tente : « vous l’avez-déjà dit »

Mais elle bégaie son histoire

Sans s’occuper du bonhomme

Comme toujours

Toujours la même

 

Passant, souviens-toi

Tandis qu'elle vocifère. 

 

© Jean-Paul Raffel



Jean Pauly est un auteur du XXe siècle. Il en traduit les pertes et les manques. Non pas comme une nostalgie ; il en conçoit un art de vivre. 

Il livre dans les Bordures des jalons, une chronique poétique dont les fragments rassemblés constitueront, on le devine, bien davantage que leur somme.

 

Jean-Paul Raffel


 

En cette fin d'été

 

 

28 mai 2012

 

 

Dans l’église, la chaise qu’on déplace fait un boucan d’enfer et résonne encore dans mon crâne de vieux. Il manque une dent à mon sourire. Je vais vers mon âge. Des pissenlits poussent dans le bac à sable. Ça ne jointe plus entre les jours et les nuits. Les jeunesses gambadent en contrebas, je les rêve toutes pour n’en avoir aucune. Toutes pour n’en avoir aucune.  

 

Les guêpes de cette fin d’été cognent contre les vitres. Sèm vièlhs disait mon père en reprenant son souffle sur la chaise de l’hôpital. Il parlait par delà, pour nous tous, ses aïeux, sa descendance, dans la pente du temps. Sèm vièlhs. Le soleil donne encore ce qu’il peut. Je me récite alors toutes ses dernières paroles pour n’en tenir aucune. Toutes pour n’en tenir aucune.

 

Lentement, la cuillère tourne dans la tasse et soulève des nuages de café. La veille, j’ai sorti le beurre du frigidaire pour qu’il se fasse à la mollesse, celle des nuits de veille, des robes de chambre, des herbes lasses, des escargots dans la salade et des brumes de septembre. Je déchire toutes les feuilles du calendrier pour n’en garder aucune. Toutes pour n’en garder aucune.

 

 

© Jean Pauly



Dans les bordures du Champ secret, des poètes travaillent. Régulièrement, ils passent entre eux la nouvelle : un nouveau poème est adressé au Champ secret. Voici "À jamais plus", de Christiane Loubier.

Le dimanche 11 mars 2012, elle poste "Vents contraires". C'est ce poème et bien d'autres qui me font régulièrement visiter les "carnets..."

http://christianeloubier7.over-blog.net/ 

Bienvenue sur le Champ secret, Christiane !

 

 

Jean-Paul Raffel


 

Histoire d’amour à jamais

 

 

A jamais plus

 

Je me réveille avec un cri

Ce n’est pas un rêve

Je suis où tu n’es plus

Une détonation en mer

Non – un bruit comme le tonnerre

Lorsqu’il tombe en pierre


Tu ne désirais pas l’été

Tu n’aimais que la nuit

Les fleurs d’orage

Les cordes de pluie

 

Ta nuit aimée est si lente

Trop courte pour l’absence

Je l’ai poussée dans le fond du jour

La mort a sa lumière – disais-tu

J’invoque un soleil

Pour assécher mes yeux

 

Le temps est fidèle

Il  demeure

Tu es là

Tes bras – ta croix

Et le foin

Pour toujours – À jamais plus

 

L’éternel été fait reculer l’ombre

Raconte un peu de ta lumière

Coulant dans ma nuit

Où se calme le temps


©  Christiane Loubier

 


Dans les bordures du Champ secret, Alan Bathurst livre une poésie exigeante. Les images y sont bien sûr plurielles et souvent douloureuses, car elles s'inversent, se retournent, résistent lorsque l'on croit s'y prendre.


Jean-Paul Raffel


 

 

D’amour à jamais

 

 

On m’a crevé les yeux depuis je vole par cœur

embobiné

par la roue qui tourne au ciel

on m’a crevé les yeux depuis je vole de mon propre chant

d’amour flottant d’amour crinière

une résille de pleurs sous mon front reprisé

histoire à jamais

 

Fuir là-haut fuir depuis je vole à temps plein

histoire d’amour à jamais

la roue qui tourne au ciel me prend à la gorge

me piège m’engoule

 

Oh mon petit

les mains m’en tombent

d’amour à jamais

 

Fuir éperdu dans l’amnésie

cramponné au plus intime nuage

me fondre au mica

du giron céleste

histoire à jamais d’amour

abîmé en mer à jamais

 

On m’a crevé les yeux je te vois mieux ainsi



© Alan Bathurst 2012    

 


   


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