Plus encore que l’année précédente, ami.e.s du Champ secret et du Festival Pliant, l’appel à textes lancé à l’occasion de la 11e édition de cette réjouissante et revigorante manifestation, sur le thème « à peu près », nous a valu un grand afflux de poèmes. Nous en avons sélectionné vingt-cinq pour l’édition d’un recueil à paraître l’automne prochain. Il se pourrait bien – mais n'allez pas l’ébruiter – qu’il soit illustré par Pef, invité d’honneur du Festival et président du jury !
En attendant cette nouvelle merveille, voici les cinq textes qui sont arrivés en tête de notre classement. Toutes nos félicitations à leurs autrices et auteurs !
1. Estelle Fournier, À peu près
2. Delphine Fontaine, Happe près
3. Philippe Botella, Les deux amis
4. Daquin Cédric Awouafack, Être poète est une estimation
5. Jessica Plagne, Ballet de l'incertain
À peu près…
J’ai besoin de rester
Sur l’épaisseur du trait,
Dans cette frange floue
Entre les chiens et loups
Où nos âmes divaguent
Sur des sentiments vagues…
La précision m’ennuie
Sans portes de sortie…
Je fuis l’exactitude
Avec ses certitudes
Et j’aime ces rivages
Pas tout à fait atteints,
Ces nébuleux sillages
Qu’on effleure des mains,
Ces proies que l’on croyait
Quasiment condamnées,
S’échappant de nos rets
À peu de choses près,
Ou ces portes de cages
Pas si bien refermées
Où s’engouffre avec rage
Un vent de liberté…
Ces pages écornées,
Pas tout à fait tournées
Auxquelles on revient
Par les soirs de chagrin,
Ce tir manqué de peu
Qui épargne un heureux,
Un fusil négligé
Qui a pu s’enrayer…
La chaleur d’un foyer
Pas vraiment ordonné
Où flottent des jouets
Qu’un l’enfant a laissés…
J’aime ces « à peu près »,
Dénués d’ambition
Chargés d’imperfection
Et qui peuvent prêter
À nos actes manqués
Un peu d’humanité…
Estelle Fournier
Happe près
Lire
Peut-être
Écrire
Sans doute
Alors c’est quoi ces à peu près
C’est quoi ces apeurés
C’est moi
Parfois
Qui me noie
Et bois
La tasse
Et puis tout se tasse
Tout s’entasse
Et puis on n’y voit plus rien
On veut sortir
On veut émerger
On veut s’enfoncer
Ça dépend des saisons
Ça dépeint des raisons
Bonnes ou mauvaises
Tendres ou dures
Happe près
Attrape ce qui te tend la main
Happe près
Et surtout
Happe récit
Apprécie
D’être parfois dans l’à peu près
Le pas parfait
L’humain quoi !
Delphine Fontaine
Les deux amis :
— Avec un peu d'imagination,
Chacun pourrait voir le soleil
Se lever à l'envers
Et se coucher autant.
Pas vraiment, mais à peu près...
— Oui, à peu près...
— Regarde !
La mer elle-même se couche sur le soleil
Qui, surpris de tant d'audace,
S'est, lui, couché à l'Est.
Tout lui est dès lors permis, où à peu près
— Oui, à peu près...
— La lune se mire dans l'eau du caniveau.
Il faut la prévenir :
Elle ne se doute pas
Que l'eau du caniveau
Est en train de la boire. Du moins, à peu près.
— Oui, à peu près...
— Chante le merle amour et sur sa branche,
Réjouie, rougit la cerise tandis que
Dans l’œil du crapaud, la lune rousse
Se mire et s'y voit belle.
Et belle, elle ne l'est pas qu'à peu près.
— Oui, à peu près.
— Que tu es lassant, ami, aujourd'hui,
Avec tes « oui, à peu près »
Et pas poète pour deux sous
Dis-moi que je t'ennuie
Tant de loin que de près...
— Oui, à peu près.
Philippe Botella
Être poète est une estimation
Il y a à peu près deux cent poètes dans ma ville
Ce chiffre n’est pas anodin
Car j’ai passé tous les habitants au crible
Afin de jauger leur parole et dégager leur poéticité
Pour cette métrique, la marge est de cinq pour cent
Il pourrait y avoir jusqu’à dix poètes de trop
Des faux positifs, tirés par les cheveux,
Qui brillent sans lumière par des poèmes éphémères
Et qui ne durent que l’instant de la promotion
À l’inverse, il pourrait y avoir jusqu’à dix poètes de moins
Des faux négatifs, poètes sans poème
Qui ont leur muse dans les moindres gestes
Ceux dont l’attitude est une drôle de poésie
Daquin Cédric Awouafack
Ballet de l’incertain
À peu près, un monde de nuances floues,
Où la précision se perd dans les contours,
Entre le vrai et le faux, dans un jeu de clair-obscur,
Où le sens se dérobe, échappant à tout sûr.
À peu près, dans les rires et les pleurs,
Des émotions teintées de mille couleurs,
Où l'amour se dessine en traits incertains,
Et le bonheur s'effleure, parfois incertain.
À peu près, dans le murmure des mots,
Des pensées s'échappent, un peu trop tôt,
Où la vérité se voile d'ambiguïté,
Et la réalité s'éloigne, parfois masquée.
À peu près, dans le rythme de la vie,
Des moments s'écoulent, sans garantie,
Où le destin se tisse, à fil délié,
Et le futur se peint, un peu effacé.
À peu près, dans cette quête infinie,
Cherchant la certitude, dans l'incertitude assurée,
Où l'essentiel se cache, entre les lignes floues,
Et la beauté se trouve, à peu près, partout.
Jessica Plagne