Ami.e.s du Champ secret et du Festival Pliant, le thème de cette 12e édition vous a inspiré.e.s ! – qu’il s’agisse de l’appel à textes ou de l’atelier d’écriture. Sur près de cent poèmes reçus, nous en avons sélectionné trente-deux pour l’édition d’un recueil à paraître prochainement.
En attendant cette nouvelle merveille – après La Petitesse et À peu près, voici les six textes qui sont arrivés en tête de notre classement. Ils ont été lus au Festival Pliant, sauf le cinquième, du fait de la difficulté où nous étions de le mettre oralement en valeur. Tous figureront bien sûr dans le recueil. Nos félicitations à leurs autrices et auteurs !
1. Jacqueline Paschetta, Les chemins de traverse
2. Georges Bonnemaison, Nage indienne
3. Lionel Favennec, L’oblique
4. Olivier Lefrancq, En pentes douces
5. Raphaëlle Vaillant, Oblique
6. Frédérique Duriez, L’hypoténuse de mon jardin
Les chemins de traverse
Le souffleur de verre façonne un flacon de brise et d’étendue verte où le soleil décline.
Les rochers sont tièdes au soleil d’avril et l’abeille secoue son armure comme un soldat qui rentre au château.
Le lac n’est pas loin, l’été on ira écouter le chant des pierres rousses dans l’écho des éboulis.
La nuit s’éclipse mais il reste du noir dans les nuages, c’est mal effacé dit l’enfant.
Ce brin d’avoine dans la fissure du mur raconte l’histoire de la peste au Moyen Âge et le vol des étourneaux l’invasion des barbares.
Un couple de tourterelles a fait son nid entre deux persiennes repliées comme deux grandes ailes striées d’azur.
L’alouette ressasse à force de miroirs brisés. Elle en a assez qu’on la considère comme une écervelée.
Il me semble que nous l’avons connu, ce rieur et ce ravi, cet innocent et cet intrépide, ce baladin et ce danseur de corde. Il est mort ce matin d’un faux pas dans l’azur.
Elle dévalait les pentes herbeuses parsemées de bleuets lorsque l’archer a tiré croyant viser sa cible, c’est sur elle que la flèche est tombée.
Ce bleu qui suinte entre les roches, ce n’est pas la mer, ni la rivière, encore moins l’océan, c’est une coupure dans le pétale que l’abeille répare.
Sur la fraîcheur des tomettes, le chat soupire. C’est une fantaisie en robe de deuil.
Sur les rochers la mousse dessine des croisées de chemins. Scarabées, lézards et fourmis, chacun traverse son espace et se rend au festin.
La libellule nous donne accès aux chemins de traverse.
Jacqueline Paschetta
Nage indienne
Plutôt pas de côté
que pas de l’oie,
chemin de traverse
que chemin tout tracé.
Plutôt l’hypoténuse
que l’angle droit,
canne à pêche
que fil à plomb.
Plutôt chants amoureux
qu’orthodoxie,
ligne de coeur
que ligne de tête.
de biais vers les lices
du Destin tisserand
la vie diagonale
Georges Bonnemaison
L’oblique
C’est l’angle de ton sourire
quand tu t’es trompée de direction
et que tu m’as regardé
comme si je savais où on allait.
Lionel Favennec
En pentes douces
J’ai un penchant pour le penché
L’arbre qui pousse de travers
Le bras tordu de la rivière
Pour le noeud trouant le plancher
J’ai un faible pour les faiblesses
Pour le petit défaut caché
La dent sur l’autre chevauchée
L’épi au front qui se redresse
Pour cette voix qui tremble et vibre
Quand tu poses un regard oblique
Un peu chagrin un peu critique
Sur ce monde en déséquilibre
J’ai un penchant pour le penché
J’ai un faible pour les faiblesses
Pour ton regard quand ta vue baisse
Pour ta joue sur ton bras couchée
J’ai une forte inclination
Pour toi quand se dénoue ton chignon...
Olivier Lefrancq
De travers
Je me suis réveillée dans le jour bleu
d’un matin de décembre
Tout était
O
B
L
I
Q
U
E
Ma tête
la nuit
les pensées
en désordre
Et l’esquisse là sur le mur
D’on ne sait quelle main
Les arbres aussi
penchent
La dernière tempête
a laissé des traces
Lignes
sur les visages
et les passages
à moitié vus
quelque part dans la brume
Je n’ai plus le cœur à l’ouvrage
et gorgée de silence
j’o
bli
que
du poids des mots qui restent
de ceux que l’on n’a pas dits
et que l’on aurait aimé
ne pas entendre
O
B
L
I
Q
U
E
est ma raison
ta bouche
qui ne me traduit pas
de vérité
La lumière, elle
est-elle droite ?
Raphaëlle Vaillant
L’hypoténuse de mon jardin
Quel animal triangulaire
a labouré l’arpent de terre
piétinant en chemin
l’hypoténuse de mon jardin ?
Des trèfles écrasés
en nappe négligée
n’ont pu se redresser
Scrutant l’obscurité
j’ai vu des pâtures d’argent
que les ténèbres dévorent
et bien plus haut encore
des champs où galopent les bongos
et d’autres animaux
quand dorment les enfants
Dans cet espace tangentiel
d’un univers oblique
certains soirs varie
par astuce sidérale
l’astrale géométrie
C’est ainsi qu’on peut voir
Grande Ourse et Petite Ourse
labourer tranquillement
l’arpent triangulaire
et prendre pour chemin
l’hypoténuse de mon jardin
Frédérique Duriez